Un triste anniversaire... à souligner

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Daniel Fortin
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MessageSujet: Un triste anniversaire... à souligner   Un triste anniversaire... à souligner Icon_minitime20/12/2014, 09:18

Un triste anniversaire... à souligner Pigeon10

 Bonjour a tous et à toutes, je tenais à souligner un bien triste anniversaire car il y a cent ans, en 1914, mourrait le dernièr représentant du pigeon migrateur (Ectopistes migratorius). Je vous propose des textes anciens sur l'abondance de cette espèce en commençant par celui du père Louis Nicolas  dans son Histoire natuelle des Indes Occidentales (circa 1700) :

« De la tourte ou du biset sauvage

Puisque cet oiseau fait une des principales récréations de tous les habitants des grandes Indes, et septentrionales et occidentales, on sera peut-être bien aise d’en savoir les particularités, qui sont : 1o que ce biset est grand comme un pigeon commun; 2o que son plumage est toujours semblable, et le manteau de tous les mâles est éternellement uniforme, si bien que qui en voit un, voit comme tous les autres sont faits, et ainsi des femelles qui sont vêtues bien autrement que les mâles. Il n’y a qu’une couleur rougeâtre qui distingue le mâle d’avec la femelle. Tout le manteau de ce pigeon sauvage est gris cendré. Toutes les pennes sont fouettées d’une couleur assez jaune. Les pennes de queue sont maillées au bout de chaque plume, mais les quatre plumes des extrémités des pennes de la queue sont fort notablement plus longues que les autres plumes du milieu de cette partie des pennes de queue, en sorte que l’oiseau a la queue carrément fourchue. On distingue bien cette différence même quand l’oiseau vole en si grandes bandes que la chose passe de beaucoup l’idée qu’on s’en peut former avant que l’avoir vu; 3o cet oiseau passe deux fois l’année : premièrement au printemps; deuxièment vers la fin de l’été. Et il y a des années que le passage en est si grand qu’on en tue tant qu’on veut à coups de bâtons dans les rues de Montréal; on leur tire des fenêtres, même lorsqu’il en passe des bandes; 4o  le plaisir n’est pas moindre lorsque dans une matinée, on en voit prendre les 7 ou 800 à deux ou trois personnes, lesquelles tendent un petit filet qui traverse plus de 100, ne dirait-on pas qu’il faut qu’il y en ait beaucoup pendant la saison du passage ? Ce coup est arrivé sur la côte de Beaupré, où j’ai vu et revu le chasseur qui en tua 120 d’un seul coup. La chose est très commune qu’un chasseur revienne chargé de ces oiseaux dans une heure après avoir tiré quatre ou cinq coups seulement; 5o ne serait-on pas étonné si, dans une seule matinée, on voyait plus de 7 ou 8000 de ces tourtes sur le carreau au milieu du petit cabanage ? Cela est fort commun; 6o ce n’est pas encore un petit divertissement de se trouver dans ces occasions où l’on voit de grandes prises de ces pigeonneaux aussi délicats et aussi gras que ces pigeons qu’on élève dans des chambres. 7 ou 8000 personnes, tant hommes que femmes et enfants, vont faire cette chasse durant un mois : ils en reviennent tous si gras, avec leurs chiens que la chose surpasse la croyance; 8o il s’est trouvé des années que beaucoup des Français en ont salé des muids[url=#_ftn1][1][/url] tout pleins après en avoir vu longtemps pendant la saison. En un mot pour finir, je dirai qu’il y a du prodige lorsque durant quinze ou vingt jours, on en voit passer des bandes qui couvrent l’air durant tout ce temps-là l’espace de plus de trois ou quatre lieues de long. Quand cela tombe dans des champs, ils les ont bientôt perdus. Et parmi les Français, il y a une ordonnance portée par le Conseil souverain de ne laisser aucun arbre dans leurs champs de peur que ces oiseaux ne s’y reposent pour, de là, fondre sur leurs grains. »

Cette espèce, aujourd’hui disparue, est très facile à identifier, c’est le pigeon voyageur ou tourte (Ectopistes migratoria). Son histoire malheureuse est bien connue et nous rappelle le grand bouleversement occasionné par une chasse abusive et non contrôlée, une destruction des milieux naturels et une certaine « inconscience collective » sur les autres espèces qui côtoient l’espèce humaine.

Pierre Boucher parle évidemment de cet oiseau dans son ouvrage :

« Il y a d’une autre sorte d’oiseaux qui se nomment tourtes ou tourterel-les (comme vous voudrez); elles sont presque grosses comme des pigeons et d’un plumage cendré; les mâles ont la gorge rouge et sont d’un excel-lent goût. Il y en a des quantités prodigieuses; l’on en tue des quarante et quarante-cinq d’un coup de fusil. Ce n’est pas que cela se fasse d’ordinaire, mais pour en tuer huit, dix ou douze, cela est commun. Elles viennent d’ordinaire au mois de mai et s’en retournent au mois de septembre; il s’en trouve universellement partout ce pays-ci. Les Iroquois les prennent à la passée avec des rets; ils en prennent quelquefois des trois et quatre cents d’un coup[url=#_ftn2][2][/url]».

Le botaniste Pehr Kalm a écrit sur cette espèce sous le nom de pigeons sauvages :

« ils viennent souvent dans les provinces anglaises durant l’hiver en une extrêmement abondance et, l’été, se trouvent, dit-on, en une quantité impressionnante dans tout le Canada. Ils construisent leurs nids dans les arbres, y nichent à raison du quarante à cinquante par arbre, et ont deux couvées chaque été. A la fin de l’automne, ils quittent tous ces contrées-ci en direction du sud et l’on prétend que pas un seul d’entre eux ne passe l’hiver ici; au printemps, par contre, ils reviennent tous à nouveau. Le commandant me raconte que, durant son séjour en Illinois, contrée qui ne reçoit en hiver que peu de neige et souvent pas du tout, ces pigeons y venaient, en provenance du nord du Canada, et y séjour-naient durant toute cette saison-là, en quantité peu ordinaire; ils aban-donnent en effet les régions d’ici parce qu’une neige trop épaisse y recouvre le sol et les empêche d’atteindre les glands et les faines qui constituent leur naturelle habituelle durant l’automne et l’hiver[url=#_ftn3][3][/url]».

« Les Français les appellent tourte; ils disent qu’en été les grandes forêts et terres vierges d’ici en renferment une quantité infinie et que ces oiseaux font leurs nids dans les arbres; ils en obscurcissent souvent le ciel; dès qu’il commence à faire froid, ils quittent cette région en direction du sud et l’on n’en rencontre plus ici avant le printemps suivant. On a essayé à plusieurs reprises de les apprivoiser, mais jusqu’ici cela n’a pas voulut réussir. Il est très facile, quand on les a chez soi, de les apprivoi-ser jusqu’à pouvoir leur donner à manger dans la main, et ils deviennent aussi dociles que des pigeons domestiques, mais dès qu’on les lâche à l’extérieur, il suffit de quelques jours pour qu’ils s’en aillent en forêt et qu’aucun d’eux ne revienne[url=#_ftn4][4][/url]».

« J’ai parlé ici, en diverses occasions, de ces pigeons sauvages qui viennent parfois des provinces anglaises de l’Amérique du Nord en très grande abondance; tous les gens à qui j’en ai parlé, m’on dit que ces oiseaux ne viennent jamais ici en hiver, mais seulement au printemps, lors de la fonte des neiges, et qu’ils font leurs nids dans la forêt; ils ne viennent cependant pas aux environs de Québec, mais seulement un peu plus loin au nord-est, dans les forêts qui bordent les deux rives du Saint-Laurent. Là où ils nichent, le sol est souvent couvert d’une couche de fiente qui peut atteindre un ou deux pieds d’épaisseur; les Sauvages d’Amérique ne tirent jamais sur ces pigeons et ne les tuent jamais lorsqu’ils couvent ou lorsqu’ils ont des jeunes; ils ne permettent pas davantage que d’autres le fassent, et ils disent que ce serait manquer gravement à la bonté envers les jeunes, car ils seraient contraints de mourir de faim. Certains Français m’ont raconté qu’ils étaient sortis dans l’intention d’en tuer à cette époque-là`mais que les Sauvages, d’abord gentiment, puis en les menaçant, les en avaient empêchés, parce qu’ils ne pouvaient pas tolérer une action de ce genre. Le général [La Galission-nière] m’a dit qu’il avait ramené avec lui, en France quelques-uns de ces pigeons et qu’il les avait lâchés en forêt; cette année, il en a ressemblé de nouveau une certaine quantité qu’il a l’intention d’emmener avec lui lorsqu’il regagnera la France. Dans tout le Canada on a coutume de capturer des jeunes, de les nourrir à la maison, après leur avoir coupé les ailes. Ils mangent et se portent bien, et lorsqu’ils sont devenus gras, on les tue et on les mange; ils ont si bon goût qu’ils n’ont guère leur égal. En automne, à la fin d’août, c’est-à-dire début de septembre, selon le nouveau comput, ils quittent tous cette région et se dirigent vers le sud. Ils ne restent ici qu’autant que le grain n’a pas été engrangé, car c’est lui qui les retient si longtemps. À près cette date, on n’en rencontre plus ici de tout l’hiver. Certaines personnes et prétendent que, dès qu’ils sont en liberté, ils s’envolent en direction de la forêt, bien qu’à l’intérieur de la maison, ils puissent devenir relativement apprivoisés[url=#_ftn5][5][/url]».

Lorsque le botaniste finlandais visite les Éboulements dans Charlevoix il s’informe :

« Je demande aux habitants d’ici si l’on trouve de ces pigeons sauvages que les Français appellent en général tourtes. Ils me répondent qu’une grande quantité de ces oiseaux ont leurs nids en été dans la forêt d’ici. Plus loin en aval, à proximité du fleuve, certains oiseaux nichent égale-ment, mais ils ne sont pas très nombreux. Par contre, c’est en amont qu’ils ont leur véritable résidence. On ne les rencontre cependant ici qu’en été et jamais en hiver. Ils causent de grands dommages aux moissons. On peut les apprivoiser et il existe une personne du voisinage qui a gardé quelques-uns de ces pigeons durant trois ans, en leur laissant la liberté de voler à l’extérieur et parfois même en forêt; ils revenaient au logis tout comme les pigeons domestiques. On a quelques exemples de gens qui en ont tué 130 d’un seul coup de fusil, à un moment où ils étaient au sol, serrés les uns contre les autres. Lorsqu’ils sont posé ainsi, on ne peut pas voir la terre[url=#_ftn6][6][/url]».

Il est intéressant de comparer les observations anciennes qui reprennent en partie celles

du naturaliste et ornithologue Charles Audubon avec les écrits de James MacPherson-

LeMoine en 1861 : « Le pigeon de passage connu des paysans sous le nom de tourte, sans être aussi abondant maintenant dans le Bas-Canada, qu’il l’était autrefois, ne laisse pas d’être très répandu pendant la saison des fruits. La tête est d’un bleu d’ardoise, et cette teinte, parsemée de taches noires et brunes, domine sur le plumage de l’oiseau; le cou est orné des plus belles couleurs : le vert, le pourpre, l’écarlate y brillent avec des nuances mobiles magnifiques; le bec est d’un blanc pur; les deux rectrices intermédiaires sont noires et les autres blanches; le bec et les ongles sont noirs; l’iris orangé.

Le pigeon de passage se nourrit des fruits de l’érable, de l’orme, du mûrier, du poirier sauvage, du sarrasin, du chêne, du hêtre, de froment et de riz. Il émigre du sud au nord, et de l’est à l’ouest, depuis le golfe du Mexique jusqu’à la Baie d’Hudson, et ces migrations sont réglées, non sur les vicissitudes des saisons, mais sur les moyens de subsistance qui lui offrent les contrées où il voyage. On a tué à New-York des pigeons de passage et l’on a trouvé dans leur gésier du riz qui n’était pas encore altéré par la digestion. Or, ils n’avaient pu manger ce riz que dans la Caroline; et comme les aliments les plus difficiles à digérer ne peuvent résister plus de douze heures à l’action du jus gastrique chez ces animaux, on a conclu qu’ils avaient en six heures parcouru quatre cents milles, c’est-à-dire vingt-cinq lieues par heure, ou plus d’un mille par minute.

Leur vue n’est pas moins puissante que leur vol; ils découvrent, du haut des airs, les fruits et les graines qui peuvent les alimenter; et si, par accident, les arbres qui les nourrissaient l’année précédente n’ont pas fructifié, on les voit passer outre, et poursuivre leur course vers des contrées plus fertiles.

Mais ce qu’il y a de plus surprenant dans l’histoire des pigeons de passage, c’est le nombre des individus qui composent leurs légions voyages. Ceci se voit encore chaque année dans certaines localités du Haut-Canada, tel que le district de Niagara.

Audubon, parcourant le Kentucky dans l’automne de 1813, en vit passer au-dessus de sa tête cent soixante-trois bandes en vingt minutes; à la fin, dit-il, les bandes se touchèrent, et un immense nuage de pigeons lui déroba la lumière du soleil, pendant cette éclipse d’un nouveau genre, la fiente des pigeons tombait comme une neige épaisse, et leurs ailes produisaient un sifflement monotone qui provoquait le sommeil. Le calcul que fit Audubon pour évaluer la quantité de ces oiseaux lui donna un résultat effrayant. « Suppo-sons, dit-il, une colonne d’un mille de largeur; supposons qu’elle effectue son passage en trois lieues : comme sa vitesse est d’un mille par minute, sa longueur sera de cent quatre-vingt milles, composé chacun de mille sept cents soixante verges : si chaque verge quarrée est occupé par deux pigeons, on trouvera que le nombre de ces oiseaux est un milliard, cent quinze millions, cent trente-six mille (1,115,136,000). Or chaque individu consommant dans une journée, une demie pinte de fruits, la nourriture d’une bande exige huit millions sept cent douze mille (8,712,000) boisseaux de graines par jour.

Les troupes émigrantes se tiennent bien au-dessus de la portée d’une carabine; dès qu’un faucon vient menacer leur arrière-garde, les rangs sont serrés; une masse compacte se forme, exécute les plus belles évolutions aériennes, se précipite vers la terre avec l’impé-tuosité d’un torrent; puis, lorsque ses zigzags multipliés ont lassé la persévérance de l’ennemi, elle rase le sol avec une vitesse inconcevable, et se levant de nouveau comme une colonne majestueuse, elle reprend ses ondulations, imitant dans l’air, mais sur une échelle démesurée, la marche sinueuse d’un serpent.

Dès que les pigeons aperçoivent de loin une quantité suffisante de nourriture, sur les arbres ou dans les compagnes, ils se disposent pour une halte; on les voit voler en tournant pour explorer les environs, et ces mouvements circulaires, dans des plans diver-sement inclinés, font briller tour à tour les belles couleurs de leur plumage. Dans une position, toute la bande se revêt d’un bleu clair, qui, bientôt après, est remplacé par un pourpre foncé : bientôt ils se glissent dans les bois et disparaissent sous le feuillage. Ils dépouillent les arbres  de leurs fruits, et découvrent adroitement, sous les feuilles desse-chées qui jonchent le sol, les fruits et les graines de l’année précédente. Vers midi, les oiseaux vont se reposer et faire la digestion sur les arbres voisins; mais lorsque le soleil disparaît sous l’horizon, tous s’envolent en même temps, et retournent en masse vers le juchoir commun, situé souvent à plus de cent lieues de leur réfectoire.

Cette fidélité au juchoir leur est fatale. C’est toujours un bois de haute futaie que les pigeons choisissent pour lieur de repos; mais sous ces arbres séculaires, où ils vont arriver au commencement de la nuit, se prépare une horrible scène de destruction. Des populations entières de chasseurs et de fermiers viennent les y attendre longtemps avant le coucher du soleil; les uns arrivent avec des chariots vides qui seront remplis dans quelques heures, les autres amènent des troupeaux de porcs qui doivent s’engraisser sur place de la chair savoureuse et succulente des pigeons.

Chacun fait ses préparatifs; les fusils sont chargés, les torches allumées; les réchauds pleins de souffre, dont la vapeur doit étouffer les pigeons, sont prêts; enfin, vers neuf heures du soir, un cri général se fait entendre : les voilà! ! Ils arrivent en effet, et leur passage agite l’air, comme la brise qui annonce l’ouragan; leurs innombrables légions s’abattent sur les arbres, et alors commence une scène de carnage et de confusion difficile à décrire; les cris des assaillants, les coups de fusil multipliés, le fracas des hautes branches brisées par le poids des malheureux oiseaux qui s’y précipitent et écrasent leurs compagnons perchés sur les branches inférieures; tout dans cet effroyable tumulte, inspire un sentiment de peine autant que de surprise au naturaliste qui ne consent à détruire que pour observer.

Pendant ce massacre, les pigeons arrivent par millions; c’est à minuit seulement que les dernières bandes entrent dans la forêt; mais le carnage dure jusqu’au jour. Des que les rayons du soleil ont frappé la cime des arbres, les pigeons quittent le juchoir et vont aux vivres, sans que leur nombre paraisse sensiblement diminué. En ce moment, la scène change : au vacarme de la nuit, succèdent les hurlements des renards, des lynx, des cougards, des loups qui accourent prendre leur part au festin que l’homme leur a préparé, et l’on voit arriver des aigles, des faucons, suivis de buses et de corbeaux, qui viennent aussi chercher leur vie dans cette immense destruction ».

Voilà bien encore un de ces tableaux animés qu’Audubon sait tracer de main de maître : cette description, qui convient sans doute aux habitudes du pigeon de passage, dans les solitudes du Kentucky, nous paraît surchargée à nous habitants du Canada, où on ne les voit jamais dans une telle abondance. En juillet et en août, lorsque la foudre a grondé dans les montagnes, les tourtes sortent sur la lisière des bois et se perchent par petites le moment où les chasseurs les tirent au fusil, ou les prennent à la rets avec de la drogue et du froment[url=#_ftn7][7][/url]».

Comparons maintenant ce texte avec les écrits de Charles-Eusèbe Dionne (1906) :

« Le pigeon voyageur habitait autrefois par bandes innombrables, tout l’est de l’Amé-rique du Nord jusqu’à la baie d’Hudson, et à l’ouest jusqu’aux prairies. Il ne se voit plus maintenant, et bien rarement que dans la vallée du haut Mississippi. Quelques couples nichent probablement encore dans les régions boisées depuis le nord des États-Unis jusqu’à la baie d’Hudson et au Manitoba.

Les pigeons voyageurs nichent en société sur les arbres et posent leurs nids quelquefois à une grande distance de rencontrer au-delà de cinquante nids sur le même arbre.

[…] Le pigeon voyageur, mieux connu sous le nom de tourte, était autrefois très commun dans la province, du moins en certaines localités, à tel point qu’il dévastait les moissons, causant ainsi aux cultivateurs des dommages considérables. J’ai souvent entendu dire que les tourtes étaient tellement nombreuses qu’elles s’abattaient par bandes innombrables dans les champs de grain qu’elles abîmaient; aussi prenait-on tous les moyens possibles pour les détruire, soit les appâtant sous de grandes rets soit en les tuant au fusil.

Maintenant, et depuis un bon nombre d’années, elles sont, à bien dire, totalement dispa-rues de notre province; les derniers spécimens que je me suis procurés ici remontent à plus de vingt ans; ils avaient été tués dans la forêt en arrière de Charlesbourg, et depuis, il ne m’a plus été possible de m’en procurer. Pourtant la tourte se voyait encore en grandes bandes jusqu’en 1875, dans plusieurs paroisses du côté sud du fleuve, entre autres à Trois-Pistoles, Saint-Paschal, Saint-Philippe de Néri, Mont-Carmel, Saint-Nicolas, etc. On m’a dit même que dans cette dernière paroisse en 1875, dans un coup de rets, on en avait capturé plus de dix douzaines; cette capture était sans doute extraordinaire, et ceci n’arrivait pas souvent même dans le temps où elles étaient si nombreuses, mais ce fait n’en prouve pas leur grand nombre encore à cette époque[url=#_ftn8][8][/url]».

Dans ses Mémoires de l’Amérique septentrionale, le baron de Lahontan écrit :

« les pigeons ramiers sont plus gros qu’en Europe; mais ils ne valent rien à manger. Ils sont huppés et leur tête est tout à fait belle[url=#_ftn9][9][/url]

Le pigeon ramier (Columba palumbus) mesure 38 à 43 cm de longueur; c’est un oiseau de dimension assez comparable à une tourte, mais nettement plus gros qu’une tourterelle triste (Zenaida macroura). Il ne semble pas identifier une tourte ou pigeon voyageur car cette espèce ne portait pas de huppe et qu’elle était comestible, c’est d’ailleurs la raison de l’extermination de l’espèce. D’autre part, cet aventurier a bien recontré le pigeon voyageur comme en fait foi un paragraphe de sa lettre 11, datée du 28 mai 1687 et publiée dans Nouveau voyages en Amérique septentrionale :

« Nous nous lassâmes au bout de quinze jours de ne manger que des oiseaux de rivière, nous voulûmes faire la guerre aux tourterelles dont le nombre est si grand en Canada que Monsieur l’Évêque a été obligé de les excommunier plus d’un fois, par le dommage qu’elles faisient aux biens de la terre. Nous nous embarquâmes pour aller à l’entrée d’une prairie où les arbres des environs étaient plus couverts de ces oiseaux que de feuilles, car comme c’était justement le temps que ces oiseaux se retirent des pays septentrionaux[url=#_ftn10][10][/url], pour aller vers le midi, il semblait que ceux de toute la terre avaient choisi leur passage en ce lieu-là. Je crois que mille hommes auraient pu s’en rassassier sans peine pendant dix-huit ou vingt jours que nous séjournâmes.[url=#_ftn11][11][/url] »

Qu’est-ce qui a provoqué la disparition de l’espèce ?  Au XVIIe siècle, on estimait la population en milliard d’individus. Il eut bien évidemment des « chasses minières » qui prélevèrent des milliers à des millions d’individus chaque année. On peut aussi incriminer la perte de l’habitat de nidifications, d’alimentation et d’hivernement. Mais cela est très étonnant qu’en septembre 1914 mourrait la dernière tourte au zoo de Cincinnati.

En 1878 près de Petrosky, au Michigan, il y eut une grande nidification où le nombre de tourtes estimées était de 136 millions d’individus qui recouvraient près de 910 km2 de territoire. On en tua à Tadoussac, à l’embouchure du Saguenay, en 1889, à Toronto en 1885, à Saint-Boniface en 1893 et à Winnipeg en 1890. Ce serait dans le comté de Pike, en  Ohio, le 24 mars 1900, que l’on aperçut pour la dernière fois un vol de tourtes dans un milieu naturel.

La « prédation humaine » pouvait-elle, à elle seule, parvenir à l’extermination de cette espèce ?







[url=#_ftnref1][1][/url]  Ancienne mesure variant selon les régions de France.



[url=#_ftnref2][2][/url]  Boucher, Pierre, Histoire véritable et naturelle des mœurs et productions du pays de la Nouvelle-France vulgairement dite le Canada, pages 71 et 72.



[url=#_ftnref3][3][/url]  Kalm, Pehr, Voyage de Pehr Kalm au Canada en 1749., feuillet 607, page 89.



[url=#_ftnref4][4][/url]  Kalm, Pehr, op. cit, feuillet 668, page 172.



[url=#_ftnref5][5][/url]  Kalm, Pehr, op. cit., feuillet 749, page 284.



[url=#_ftnref6][6][/url]  Kalm, Pehr, op. cit., feuillet 796, page 353.



[url=#_ftnref7][7][/url]  MacPherson-LeMoine, James, Ornithologie du Canada., pages 299 à 303.



[url=#_ftnref8][8][/url]  Dionne, Charles-Eusèbe, Les oiseaux de la province de Québec., page 182 et 183.



[url=#_ftnref9][9][/url]  Lahontan, baron de, Mémoires de l'Amérique septentrionale., page 70.



[url=#_ftnref10][10][/url]  Cette chasse eut lieu à la fin de l’été ou à l’automne 1686 et non au printemps 1687.



[url=#_ftnref11][11][/url]  Lahontan, baron de, Nouveau voyages en Amérique septentrionale, présentation, chronologie et notes par Jacques Colin, Montraél, L’Hexagone/Minerve, 1983, (346 pages), pages 134 et 135.
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Denis
Membre Donateur
Denis


Date d'inscription : 14/11/2008

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MessageSujet: Re: Un triste anniversaire... à souligner   Un triste anniversaire... à souligner Icon_minitime20/12/2014, 11:25

Merci de ces infos historiques, thumleft
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